« Biologie du Pouvoir », de Jean-Didier Vincent

Il est 17h, je sors du travail et rentre chez moi en voiture. Heure de pointe oblige, je me retrouve bloqué au rond point de l’avenue de la Gineste en descendant de Bourran par l’avenue Roland Boscary. La circulation est au ralenti et il y a une dizaine de voitures devant moi qui attend de s’engager. Les automobilistes qui sont sur le rond point sont prioritaires, comme chacun sait, et ceux qui attendent pour s’engager ne le sont pas, ils doivent céder le passage et attendre que la voix soit libre pour avancer. A priori on est pas près de rentrer à la maison puisque le bouchon semble s’étendre jusqu’à la zone de Bel Air. Pourtant, en observant le comportement des automobilistes, quelque chose me saute aux yeux. La règle formelle de la priorité est délaissée au profit d’une autre: avant de passer, presque tous les véhicules qui circulent sur le rond point abandonnent leur priorité à un autre véhicule qui s’engage en le remerciant. Il me semble après coup que le geste est plus « juste » que le code de la route qui est indifférent au contexte du bouchon. Appliqué à la lettre, le code de la route condamnerait une partie des automobilistes à attendre de longues dizaines de minutes avant de pouvoir circuler et créerait certainement davantage de bouchons. Ce même sentiment de justice semble donc avoir en plus une utilité. Comment l’expliquer?
Nous pouvons peut-être trouver quelques éléments de réponse dans Biologie du Pouvoir[1] du neurobiologiste et neuropsychiatre Jean-Didier Vincent, également auteur de Elisée Reclus , géographe, anarchiste, écologiste.

Justice

« La motivation pour la justice est apparue à l’origine dans un environnement où s’est exercée une forte pression pour stabiliser la coopération au sein des groupes. Plusieurs espèces de primates montrent une aversion profonde pour l’iniquité et répugnent de recevoir moins de satisfaction qu’un partenaire social. Des études chez les macaques ont montré des centres nerveux du cerveau qui font la distinction chez les partenaires sociaux entre des distributions bénéficiaires ou désavantageuses : le striatum et le cortex préfrontal latéral. Il convient également de signaler le rôle du cingulum antéro-dorsal qui intervient dans la prédiction des intentions des uns et des autres, et favorise ainsi la coopération dans les groupes et leur adaptation. Il est probable que ces capacités développent la sensibilité chez l’homme et son aptitude à coopérer qui font de lui « un individu social extrême ». Le plaisir de coopérer entre les humains est une pression majeure dans l’évolution des hommes. »
La réponse active ou passive d’un individu à une injustice qu’il subit est appelée inequity aversion (IA) de premier ordre. Dans notre exemple cela se traduirait par l’exaspération et les probables vociférations d’un automobiliste immobilisé depuis longtemps et qui ne pourrait pas s’engager dans le rond point à cause de la règle de priorité qui pourraient vite lui apparaitre comme totalement arbitraire. Mais « il existe une IA de deuxième ordre propre à l’homme et aux grands singes ; elle consiste à abandonner un bénéfice immédiat afin de stabiliser des relations de coopération entre les individus. Cela implique que l’on soit capable d’anticiper l’IA de premier ordre chez le partenaire et son impact négatif sur les relations intersubjectives, en devançant ses conséquences, avec l’assurance d’une équité rétablie entre les partenaires. » Et pas d’anticipation de l’IA chez l’autre sans empathie.

Empathie

« Compatir, c’est souffrir de la souffrance d’autrui ou jouir de son plaisir ; plus largement, c’est éprouver en soi les passions d’autrui. La compassion exige la présence effective et affective de l’autre. Face à cet autre, je me trouve devant mon semblable : il est ému et je suis ému par son émotion. […] l’empathie apparait comme une fonction indispensable à la vie sociale chez les animaux. Son développement sur des millions d’années, grâce à l’augmentation des capacités cognitives et l’enrichissement du répertoire émotif, a contribué à l’évolution des primates conduisant notamment à cet animal de société qu’est l’homme. […] L’homme compassionnel apparait environ neuf cent mille ans avant le présent, au début du paléolithique inférieur, période où il a appris le langage à double articulation et la marche debout. »

Violence et cruauté

Cependant l’homme n’est pas qu’empathique, il est aussi capable de prendre du plaisir à voir son semblable souffrir. Jean-Didier Vincent laisse donc la biologie pour donner une explication anthropologique et historique de l’exploitation systémique de la cruauté et de la violence humaine par les structures dominantes pour se maintenir au pouvoir. Ainsi il prend l’exemple des combats de gladiateurs dans les arènes de l’empire romain et celui de l’empire aztèque fondé sur une religion sacrificielle.

Biologie du pouvoir aborde également les questions du Big Data, de la démocratie, de l’État, des monstres politiques et de l’idéal anarchiste. Ces thèmes sont autant de pistes que l’on se doit d’explorer pour se forger une opinion sur la nature humaine et le politique.

[1] https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/biologie-du-pouvoir_9782738138064.php

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