« Civilisation », de Régis Debray

Le nouvel ouvrage du philosophe Régis Debray ne manque pas d’intérêt bien que son auteur soit à l’antipode de la pensée libertaire, lui qui se définit comme « un gaulliste d’extrême gauche » et mélanchoniste à ses heures. En effet, son essai, au sous titre tout à fait significatif, « comment nous sommes devenus américains », s’applique à nous expliquer comment la civilisation européenne née au XVIème siècle avec l’humanisme et la Renaissance a finalement sombré corps et âme en 1945. Les États Unis d’Amérique sont alors devenus la nation définitivement dominante. Même si l’anti américanisme de Debray fait à nouveau surface, les nombreux exemples et détails qu’il utilise pour illustrer sa thèse ne manquent pas de nous interpeller, comme un seau d’eau froide jeté à la tête du lecteur : ils nous permettent de prendre conscience soudainement à quel point nous sommes imbibés des codes et modèles américains jusque dans les moindres petits recoins de notre vie intime ou dans les petits gestes de nos hommes politiques, chantant la Marseillaise la main sur le cœur, à la façon des présidents américains.
La domination économique apparaît alors comme l’arbre qui cache la forêt. Elle fut acceptée pour cause de reconstruction à la Libération partout en Europe. Mais c’est bien plus que cela qui arriva avec elle, notamment par le biais du cinéma. Aujourd’hui, Debray souligne combien ce sont d’abord nos esprits, nos rêves et nos imaginations, qui sont dominés, voire colonisés par le modèle américain devenu modèle civilisationnel universel. Cette civilisation dominante n’exclut pourtant pas le maintien de cultures et couleurs locales : on peut se sentir français en dégustant son fromage et son verre de vin mais depuis longtemps notre monde, ses valeurs, ses techniques et ses modèles mentaux se sont américanisés de façon insidieuse. L’élitisme qui caractérisait selon lui la civilisation européenne passée a aujourd’hui fait place à une pseudo-démocratie pour tous venue du Nouveau Monde. Monsieur Macron, pâle remake de Kennedy, en dit long sur la déchéance française. Bref, cet essai vaut le détour car même s’il est parfois à prendre avec beaucoup de recul et modération, il apporte des points de vue surprenants sur l’intégrisme religieux, la guerre des civilisations, le cinéma, l’Europe… autant d’analyses qui nous amènent à questionner notre monde et ses dérives.

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