Rodez: Manifestation intersyndicale le 16 novembre

Ce jeudi 16 novembre divers syndicats (CGT, FO, FSU, etc) appellent à manifester place d’armes à Rodez à 14h30 et à observer une journée de grève « contre la politique libérale » du gouvernement.

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Le revenu universel, une fausse bonne idée?

L’idée d’accorder à tout le monde un revenu de base est réapparue avec les dernières élections présidentielles à travers la proposition de Benoit Hamon (PS). Il s’agirait d’assurer une indemnité ou un complément de salaire pour les foyers les moins aisés comme expliqué sur le site de campagne [1] du candidat:

Dès l’âge de 18 ans, pour toute personne gagnant moins de 1,9 smic brut par mois soit 2800 € (ou 5600 € pour un couple), le RUE (revenu universel d’existence) apportera un gain de pouvoir d’achat et un gain de sécurité.[…] Le RUE représentera en moyenne un gain de pouvoir d’achat de près de 2000 euros par an pour 19 millions de Français.[…] Le Revenu Universel, c’est un levier de lutte contre la pauvreté avec la garantie automatique de ne jamais avoir moins de 600 euros par mois pour vivre.

Pour les sans emplois le revenu universel consiste concrètement en un RSA attribué d’office. Ce dernier est actuellement de 545€ [2] pour une personne vivant seule et sans enfant. Le gain financier est donc d’une cinquantaine d’euros. Mais le revenu universel d’existence (RUE) a un montant variable en fonction des allocations que l’on perçoit. Pour calculer à combien revient le RUE d’une personne sans emploi mais bénéficiant d’allocations, utilisons le simulateur de RUE du site de campagne de Benoit Hamon. Admettons que notre situation nous donne droit à 200€ d’allocations (APL par exemple), notre RUE serait de 546€. Soit le montant du RSA actuel. Comme il est difficilement concevable qu’une personne bénéficiant du RSA n’ai pas droit à quelques allocations pour le logement ou autre aides financières, on peut établir que le RUE ne dépasserait qu’exceptionnellement le montant du RSA actuel. Et qu’en est-il des enfants à charge? Si le RUE entend concerner les personnes de 18 ans et plus, tout porte à croire que les allocations perçues par un parent isolé ou un couple avec enfant vont encore réduire le montant du RUE, alors que le RSA pour une personne ayant un enfant à charge s’élève à 818€. On voit mal quelle conception du progrès social peut avoir Benoit Hamon. On peut aussi se demander si les promesses de « gain de pouvoir d’achat » et de « sécurité » concernent les plus pauvres.

Faisons la même chose pour calculer les compléments de salaire. Pour un salaire brut de 2800€, soit environ 2150€ net pour un salarié non cadre, le RUE s’élève à 5€ mensuels pour un revenu final de 2155€. Pour un SMIC à 1480€ brut en 2017 [3], soit environ 1140€ net, le RUE s’élève à 195€, pour un revenu final de 1335€. Si le SMIC est accompagné de 200€ d’allocations, le RUE n’est plus que de 143€ pour un revenu final de 1483€. Financièrement, le revenu universel proposé par Benoit Hamon semble plus intéressant pour les personnes ayant déjà un travail mais qui sont payées au SMIC que pour les bénéficiaires du RSA. La vie de château sans travailler restera donc réservée aux rentiers.

Sur le papier l’idée d’assurer à tous les ressources nécessaires à la survie en société capitaliste semble louable (pour des capitalistes), quoique l’idée d’un gain substantiel de pouvoir d’achat ne semble pas correspondre aux calculs effectués plus haut. Mais un tel revenu n’effacerait pas les inégalités dans notre société qui sont fondamentalement liées à sa structure hiérarchique et à son mode de production basé sur la propriété privée. Les bénéficiaires du revenu universel resteront dominés sur le plan économique et politique.
Les personnes qui effectuent un travail à haut niveau de compétence professionnelle nécessitant de longues études seront toujours mieux rémunérées et donc mieux placées hiérarchiquement. Il sera toujours possible de justifier le fait d’engranger des bénéfices par le travail des autres au nom de la propriété d’une entreprise ou d’actions. La socio-culture générée par la société capitaliste qui veut que la réussite de sa vie se mesure à l’épaisseur du porte-feuille sera toujours présente et les bénéficiaires du revenu universel, comme ceux du RSA aujourd’hui, seront toujours considérés comme des parasites et des feignants. Les différences de salaires qui persisteront se traduiront toujours pas des différences d’accès à la culture, aux études, aux loisirs et les classes sociales continueront à se reproduire dans un déterminisme si difficilement transgressable.

Mais le revenu universel pourrait aussi être la réponse à un autre problème lié à l’évolution des moyens de production. Si dans nos sociétés la production est toujours plus élaborée et optimisée c’est grâce à une automatisation croissante nécessitant un savoir professionnel toujours plus abstrait. On pourrait voir dans l’introduction du concept de revenu universel, à l’instar de ce qu’imaginait Henri Laborit dans La Nouvelle Grille [4], une volonté de préparer le terrain à la société automatisée, ou même une conséquence de celle-ci:

Les sociétés modernes étant de plus en plus avides et consommatrices d’informations spécialisées et de moins en moins de force de travail mécanique humain, la loi de l’offre et de la demande aboutit à l’établissement de hiérarchies économiques et de pouvoir professionnel fondées sur l’information. La durée de la scolarité augmente et, qui plus est, on parle de recyclage professionnel, c’est-à-dire de ré-enrichissement informatif au cours même de la vie professionnelle. Si le « peuple » représente la masse la moins informée professionnellement d’une nation, dans un tel système il est certain qu’il ne pourra conquérir un pouvoir politique. En poussant jusqu’à la caricature on pourrait même imaginer des sociétés futures dans lesquelles on paierait à ne rien faire, le travail étant presque totalement automatisé, des masses humaines non informées professionnellement et devenues en conséquence inutiles. On leur assurerait donc un pouvoir économique moyen pour les dédommager de l’abandon total qu’elles feraient de leur pouvoir politique aux individus mieux informés professionnellement, donc plus utilisables, dans la création, la programmation et le contrôle des machines de production des marchandises.

Le revenu universel est-il une nouvelle soupape de sécurité de nos sociétés hiérarchisées pour canaliser le malaise social et éviter l’apparition de crises ou n’est-il qu’une tentative naïve d’introduire un semblant de dignité chez ceux qui auraient plutôt intérêt à s’octroyer davantage de pouvoir politique?

 

[1] https://www.benoithamon2017.fr/rue/
[2] http://droit-finances.commentcamarche.net/faq/3562-rsa-2017-calcul-montant-et-simulation-du-rsa-2017
[3] http://droit-finances.commentcamarche.net/faq/3567-smic-2017-2018-montant-mensuel-du-smic
[4] Se référer au chapitre VI de La Nouvelle Grille pour les questions de la hiérarchie économique basée sur le degré d’abstraction du savoir professionnel, de la plus-value et du pouvoir politique: https://refractairejournal.noblogs.org/post/2017/10/30/lecture-dhenri-laborit-la-lutte-des-classes/

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REFRACTAIRE n°9

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Lecture d’Henri Laborit: La lutte des classes

Comme l’ont fait Aristote, Marx et Freud avant lui, Henri Laborit tente dans La Nouvelle Grille (1974) de donner une grille de lecture du monde pour mieux appréhender l’Homme et notre société.

Dans son chapitre VI: Information, hiérarchies de valeur et classes sociales. Malaise et crises sociales, Laborit aborde les concepts de classes sociales et de lutte des classes introduits par la philosophie marxiste. Cette dernière repose sur l’idée que le moteur de l’Histoire est la lutte entre deux classes sociales opposées: le prolétariat et la bourgeoisie, la seconde exploitant la première. La bourgeoisie s’approprie, du fait de la propriété des moyens de production, la plus-value[1] issue du surtravail des prolétaires.

En analysant les modes de production contemporains et leur automatisation, Laborit entant mettre à jour la nature de la plus-value et qui est le plus dépossédé de la plus-value qu’il génère. D’abord, l’ouvrier joue-t-il toujours le même rôle dans la production de marchandises?

« C’est grâce à une information de plus en plus abstraite, qu’avec la révolution industrielle l’homme a pu se rendre maître de l’énergie et traiter la matière de façon à fabriquer des quantités considérables d’objets, le capital restant jusqu’à nos jours le moyen le plus efficace de domination des hommes et des groupes humains entre eux.

Aussi longtemps que ces objets ont été réalisés essentiellement par le travail manuel de l’ouvrier, c’est par l’intermédiaire de la plus-value, comme Marx l’a montré, celle de la retenue par le possesseur du capital d’une partie du produit du travail humain non restitué à celui qui l’a fourni, que fut constituée l’accumulation du capital. A mesure que les machines prirent de l’importance dans la production des marchandises, inversement le travail manuel de l’ouvrier prit relativement moins d’importance au sein du processus de production. Le capitaliste utilisa la plus-value pour s’approprier aussi des moyens de production de masse, les machines, en investissant. Il augmentait ainsi son pouvoir puisque, sans machines, l’ouvrier devenait inefficace et que ces machines ne lui appartenant pas il devint possible de l’obliger à accepter tous les désirs du patron. C’est en cela que la disparition de la propriété privée des moyens de production est un élément indispensable bien qu’insuffisant à la disparition de la dominance.

Mais ces machines, capables de fournir une quantité considérable de marchandises dans un minimum de temps, d’augmenter considérablement la productivité des entreprises, étaient filles de l’invention, dans le domaine des sciences fondamentales d’abord, puis de leur application au domaine industriel, celui de la production de biens consommables. Elles étaient donc filles de l’abstraction. Elles étaient « programmées » par l’homme, ce qui veut dire que l’homme, en établissant leur « structure », les rendait dépositaires d’une information. De même que l’apprentissage de l’ouvrier avait pour but de rendre son système nerveux dépositaire d’une information professionnelle qui se trouvait alors à l’origine d’un comportement, d’une action de l’ouvrier de l’action sur l’environnement assurant à ses gestes l’efficacité, la précision, la rapidité d’exécution dans la production des marchandises, la machine devenait dépositaire d’une information aboutissant à la production massive d’objets. Son efficacité était immédiatement beaucoup plus grande que celle de l’homme car non limitée dans sa puissance énergétique, à peine dans sa vitesse d’exécution, moins sujette à erreurs, et si elle exigeait un entretien elle n’émettait pas de revendications : l’ouvrier pouvait refuser de restituer, pour le profit et la dominance de quelques-uns, l’information stockée dans son système nerveux par l’apprentissage, alors que la machine n’attendait que son alimentation énergétique pour obéir. L’ouvrier n’était plus là que pour la « servir », et non pas pour la commander. »

Ensuite, si l’ouvrier n’est plus que le serviteur de la machine qui nécessite bien moins d’information professionnelle de sa part, quels sont ceux qui génèrent la plus-value à travers ces machines?

« Ainsi, le capitaliste dut-il commencer à compter, non avec les machines, mais avec ceux qui fournissaient l’information nécessaire à leur invention, à leur construction et à leur utilisation : avec le technocrate. Parmi ces derniers et du fait même de l’abondance de plus en plus considérable de la production, certains se spécialisèrent dans l’administration du processus de production, d’autres dans l’écoulement des produits. De toute façon, avec l’avènement des machines, l’information devient l’élément important du processus de production aux dépens de la force de travail de l’ouvrier. Notons que cette force de travail avait elle-même un aspect énergétique, thermodynamique, intimement lié dans l’organisme humain avec l’aspect informationnel acquis par l’apprentissage. Avec l’industrialisation, l’aspect énergétique, fut en grande partie pris par la machine. L’aspect informationnel aussi, mais en tirant sa source du système nerveux humain. En résumé, la part humaine la plus importante dans le processus de production est devenue informationnelle. C’est l’homme qui est à la source des informations stockées dans les machines. Or, comme ce sont les machines qui permettent une production de masse et en conséquence des profits massifs, le donneur d’information devient de plus en plus nécessaire à l’expansion de la production.

En retour, bien entendu, ce qui est rétribué en pouvoir économique et hiérarchique, c’est bien principalement la part informationnelle contenue dans le produit du travail humain. Il s’ensuit logiquement que la « plus-value », ce qu’abandonne le « travailleur » à quelque niveau hiérarchique où il se situe, c’est surtout de l’information. Plus son travail est riche en information spécialisée, plus le degré d’abstraction atteint par son apprentissage est élevé, plus la part informative qu’il abandonne au monstre qu’on appelle le patron est grande et plus sa spoliation est grande aussi. En ce sens, plus un travail est « intellectualisé », plus le travailleur est exploité, puisque nous sommes bien forcés d’admettre que l’importance de la plus-value, de nos jours, est fonction du degré d’abstraction de l’information spécialisée qu’est capable de restituer un individu. »

Si au XIXe siècle les masses laborieuses se révoltaient à de nombreuses reprises à travers le monde, menant parfois à des révolutions mais revendiquant toujours une amélioration de leur condition, pourquoi n’en est-il pas de même pour la nouvelle classe spoliée de sa plus-value?

« Puisque nous en sommes maintenant persuadés, la source la plus abondante de plus-value n’est pas le travail manuel, la force de travail, l’activité thermodynamique de l’ouvrier, mais l’utilisation de l’information sous une forme de plus en plus abstraite, parce qu’elle est capable de façonner la matière, de la « transformer » en machines, de l’ « informer », et que ces machines permettront d’accroitre considérablement la production, donc le profit et en conséquence la dominance, on peut se poser la question de savoir pourquoi les technocrates ne sont pas à la tête du mouvement révolutionnaire contre le pouvoir des détenteurs du capital. »

La première raison est à chercher dans la structure de notre société qui n’est plus celle du XIXe siècle. Si l’opposition binaire entre le prolétariat et la bourgeoisie correspondaient à une certaine réalité économique, qu’en est-il à la fin du XXe siècle? Sommes nous toujours en présence de ceux deux mêmes blocs antagonistes?

« La plus immédiate [des raisons], c’est que la domination n’est plus liée au seul pouvoir du capital. Rappelons que la finalité fondamentale d’un organisme vivant est la recherche du plaisir qui s’obtient par la dominance[2]. Aussi longtemps que celle-ci aboutit à deux types d’individus, le maître et l’esclave, l’oppresseur et l’opprimé, le dominante et le dominé, la distinction hiérarchique est simple, l’antagonisme facile. Dès qu’un système hiérarchique complexe apparaît il n’en est plus de même. Ce qui fait la solidité d’un système hiérarchique complexe, c’est qu’on y trouve à chaque niveau de l’échelle des dominants et des dominés. Dans un tel système, tout individu est dominés par d’autres mais domine un plus « petit » que lui-même ; le manœuvre le plus défavorisé, dans notre système social, en rentrant chez lui frappera du poing sur la table, s’écriera : « Femme, apporte-moi la soupe » et, si un enfant est un peu turbulent, il lui donnera une claque. Il aura l’impression d’être le maître chez lui, celui auquel on obéit, celui qu’on respecte et qu’on admire, tout enfant prenant son père comme idéal du moi dans sa tendre enfance. Cette domination familiale lui suffira souvent à combler son désir de se satisfaire. Par contre, dès qu’il sort de chez lui il trouvera des dominants, ceux situés à l’échelon immédiatement supérieur dans la hiérarchie du degré d’abstraction de l’information professionnelle. Et, comme le chimpanzé soumis à l’égard du chimpanzé dominant, tout son système nerveux sera en remue-ménage, en activité sécrétoire désordonnée, car dans nos sociétés modernes il lui est impossible de fuir[3]. Il doit se soumettre. Il ne peut plus combattre sous peine de voir sa subsistance lui échapper. Il en résulte une souffrance biologique journalière, un malaise, un mal-être. »

On peut également illustrer cette position d’individu à la fois dominant et dominé au sein du monde du travail avec la multiplication des échelons intermédiaires: manager, chef d’équipe, chef d’unité, chef de secteur, etc. Les rapports hiérarchiques dans le travail ressemblent de plus en plus à un spectre qu’à une opposition de deux parties distinctes.
Mais l’exercice de la dominance compensatoire ne s’effectue par forcément dans le même contexte que la dominance subie. Ainsi celui qui est dominé au travail peut exercer une forme de dominance dans le cadre de la famille, ou inversement.
Dans tous les cas le résultat reste le même. C’est un malaise qui résulte de cette situation ambiguë, mais il n’a pas le caractère aussi unilatéral de la dominance uniquement subie qui conduit à la crise qui est nécessaire pour déclencher une révolte. Cette crise ne survient que lorsque la société hiérarchisée n’offre pas assez de « tampons », d’échelons intermédiaires, et que la séparation entre dominants et dominés se fait sous forme d’une ségrégation.

« Cependant, cette soumission n’a pas que des inconvénients. Le travail en « miettes » qui institue une dépendance étroite de chaque individu à l’égard des autres, n’est plus ressenti seulement comme une aliénation. Alors que l’homme du paléolithique était un véritable polytechnicien à l’égard de la technique du moment, l’homme moderne est incapable, quelque soit son niveau technique, de subvenir seul à ses besoins fondamentaux. Ce qui l’homme moderne ressent comme une aliénation, c’est de ne pouvoir décider de son propre destin, de ne pouvoir agir sur l’environnement, dans tous les cas par un acte gratifiant pour lui-même. Mais d’un autre côté, cette absence de pouvoir de décision, […] le sécurise. Il sait qu’il a peu de chances de mourir de faim et que certaines responsabilités lui sont épargnées. Son déficit informationnel, source d’angoisse, est considérable et cependant il fait confiance à ceux qui sont prétendus savoir et agir à sa place. Cette confiance le sécurise.
[…] Ce mélange d’assouvi et d’inassouvi est pour nous l’origine du « malaise » social. »

Si la société hiérarchisée complexe rend l’individu de plus en plus dépendant des autres à travers la spécialisation toujours plus poussée des tâches à exercer dans le travail et de la complexité croissante des processus de production pour faire parallèlement croitre la production de marchandises, elle sécurise par là même l’individu. Non seulement ses moyens de subsistances sont assurés s’il joue le jeu et travaille, mais ses responsabilités seront aussi limitées que la tâche qu’il a à accomplir. On peut alors légitimement se demander s’il faudra attendre que la situation économique se détériore au point de retrouver l’incertitude d’assouvir nos besoins fondamentaux pour que les choses changent. Dans des pays comme le Venezuela ou la Grèce il semblerait que ce soit bien l’atteinte aux besoins les plus primaires que sont l’alimentation, le soin et le logement, à travers la dégradation des conditions économiques, qui soient à l’origine des émeutes et des manifestations les plus fédératrices et massives. Sauf que même dans ces cas là les revendications ne dépassent que rarement la volonté de changer les figures qui incarnent l’autorité, ceux que l’ont désigne comme responsables, en espérant que d’autres fassent mieux. Nous en arrivons à une autre raison de l’absence de révolte du technocrate:

« D’autre part, plus le niveau de décision s’éloigne de lui, plus il devient abstrait, plus il a tendance à l’occulter. En réalité, sa gratification, comme sa souffrance d’aliénation, se situent dans son entourage immédiat, dans la partie de sa niche environnementale qu’il peut toucher chaque jour de la main, celle dont il peut découvrir simplement la structure et la causalité. Qu’il en retire gratification ou souffrance, il aura tendance alors à rendre responsable de son état les niveaux d’organisation dont il ne possède qu’une idée abstraite ; il retrouve en quelque sorte, de nos jours, la tendance mythique des premiers hommes à l’égard des dieux. Les dieux modernes ont pour nom Liberté, Égalité, Démocratie, État, Classes sociales, Pouvoir, Justice, Partis, etc., et leurs prêtres efficaces ou maladroits, despotes ou bienveillants, s’appellent gouvernants, PDG, bourgeois, technocrates et bureaucrates, patrons, cadres, permanents, etc.

Déçus par certains intermédiaires et certains dieux, l’homme moderne souhaite parfois améliorer son sort en changeant de religion. Mais il ne remet jamais en question le système hiérarchique, ses causes (nous dirions ses facteurs comportementaux) et n’a pas encore compris qu’en déplaçant simplement les pièces sur l’échiquier, il n’en fera pas pour autant disparaître le quadrillage, c’est-à-dire la structure de base, celle des comportements.

Nous commençons à comprendre ainsi pourquoi le technocrate est assez rarement révolutionnaire et ne cherche pas à faire disparaître non pas le pouvoir établi, mais beaucoup plus précisément la structure hiérarchique.
C’est que cette structure hiérarchique lui permet de se gratifier. »

Mais si le technocrate trouve dans la structure hiérarchique une source de gratification, de quelle nature est le pouvoir qui lui est concédé? Sommes-nous gouvernés par les technocrates?

« L’activité de l’ensemble social étant fondamentalement orientée vers la production de marchandises, cette production étant fonction de l’invention, de la création et de l’emploi des machines, celles-ci étant elles-mêmes fonction du degré d’abstraction de l’information professionnelle, on comprend qu’une place hiérarchique de choix soit réservée dans ce système au technicien. Une place hiérarchique d’autant plus élevée qu’il se montre capable de traiter les informations d’une façon plus abstraite et moins thermodynamique puisque plus l’abstraction sera grande, plus la généralisation de son emploi sera forte et plus son efficacité productrice sera appréciée. Mais il est essentiel de comprendre que le « pouvoir » qu’il conquiert ainsi est strictement limité au processus de production, et nous verrons qu’il n’a aucune raison, en principe, d’être lié à un pouvoir politique puisqu’il n’est pas fondé sur un savoir politique. »

Qu’en est-il alors de la lutte des classes?

« Mais nous avons déjà insisté sur le fait que le traitement de l’information était une particularité de l’espèce humaine et que l’homme du paléolithique en cela s’est distingué tout de suite des espèces animales qui l’avaient précédé en « informant » la matière inanimée par la confection des premiers outils. Cette particularité en elle-même n’est donc pas suffisante pour donner naissance aux hiérarchies. C’est pourquoi nous avons mis en évidence à plusieurs reprises que c’est sur le degré d’abstraction de l’information professionnelle traitée que s’établissent les échelles hiérarchiques. Or il existe tous les niveaux de passage de l’information encore très liée au concret, celle du manœuvre, à celle déjà plus élaborée de l’artisan, à celle enfin de plus en plus abstraite, de l’ingénieur, du technocrate ou du bureaucrate en général. Il en résulte l’existence d’un nombre infini de niveaux hiérarchiques qui, insensiblement, permettent de passer du manœuvre à l’intellectuel.

Dans cette échelle hiérarchique, où finit le prolétaire et où commence le bourgeois? Marx a défini la bourgeoisie par la propriété privée des moyens de production. Les bourgeois vous diront que le capital et les moyens de production sont de moins en moins la propriété de quelques-uns mais celle d’un grand nombre. Dans les pays socialistes contemporains, ils sont même devenus la propriété de l’État, c’est-à-dire en principe à la collectivité. Les systèmes hiérarchiques et l’aliénation qui en résulte ont-ils disparus pour autant? »

Que la propriété privée des moyens de production soit fragmentée à travers l’actionnariat, que les moyens de production soient la propriété de l’État ou qu’ils soient la propriété des salariés d’un entreprise en société libérale comme cela est possible à travers les SCOP, tout cela ne change en rien le problème de l’exploitation qui est le fait de toute structure hiérarchique.
Si la dialectique marxiste qui entend opposer prolétariat et bourgeoisie ne convient plus pour expliquer les rapports sociaux qui ont gagné en complexité, Laborit entend questionner notre rapport au travail, la question du pouvoir des travailleurs, de la dictature du prolétariat et le concept de « classes sociales ».

« Avons-nous le droit de parler de structures de classes? Il est difficile de comprendre, semble-t-il, la phrase si souvent répétée: « Le pouvoir aux travailleurs. » Il faut reconnaître que dans la société actuelle, bien heureux est celui qui peut vivre sans travailler. Bien heureux et bien rare. Le travail peut être plus ou moins bien rémunéré, mais n’existe-t-il alors de travail que mal rémunéré? En d’autres termes, à partir du moment où un travail est bien rémunéré, devient-il un plaisir? Et que dire de celui dont le plaisir est de travailler, quelle que soit la rémunération? Les cas sont rares mais ils existent. J’en sais quelque chose. En définitive, ne serait-il pas plus exact de revendiquer le pouvoir pour ceux qui ne l’ont pas? Mais alors, ceux qui le possèdent doivent-ils en conséquence le perdre? Qui ne voit que le problème est mal posé? Donner le pouvoir à ceux qui ne l’ont pas, n’exige pas de l’enlever à ceux qui l’ont. Généraliser le pouvoir est l’objectif souhaitable car dès lors il n’y aura plus de pouvoir. L’erreur précédente vient sans doute de la conception trop étroite qui est généralement propagée de « classes sociales », de l’opposition classique entre capital et travail.

Dans une organisation quelle qu’elle soit, les individus sont groupés en réalité par une analogie de fonction. Or, on les associe généralement sur une analogie hiérarchique, le patronat, les cadres, les ouvriers, hiérarchie dont le pouvoir est régressif en ce qui concerne les décisions à prendre pour la bonne marche de l’entreprise. En réalité, à côté de cette hiérarchie de valeur qui satisfait l’instinct de puissance, existe fondamentalement, nous l’avons dit, une hiérarchie de fonction que nous avons préféré dénommer « niveau d’organisation » fonctionnels, pour la débarrasser de tout jugement de valeur.

A tel point que si nous avons parlé jusqu’ici de hiérarchies de valeur et de fonction, c’était pour faciliter la compréhension, car en réalité toute hiérarchie est de valeur. L’organisation d’un corps individuel ou social nous montre au contraire des niveaux dans cette organisation. Chaque niveau supérieur englobant le niveau de complexité qui le précède, ne le commande pas: il l’informe grâce à cette « information circulante » dont nous avons parlé[4] et que nous avons distinguée de « l’information structure ».

Dans un tel organisme individuel, où sont les « classes » d’éléments ? Nous savons qu’il existe des fonctions différentes, toutes informées de la finalité de l’ensemble dont dépend leur activité métabolique commandant leur travail « professionnel ». Il existe donc des classes fonctionnelles multiples, chacune concourant à l’activité d’un grand système (nerveux, endocrinien, cardio-vasculaire, respiratoire, locomoteur, digestif, etc.), chacun de ces systèmes concourant à l’activité de l’ensemble organique au sein de l’environnement. Ces classes fonctionnelles n’ont donc rien à voir avec les classes hiérarchiques de la « lutte des classes ». Mais comme d’autre part nous avons vu que, en introduisant la notion d’information en sociologie humaine, les échelles hiérarchiques sont à ce point progressives qu’il est impossible de savoir à quel moment on quitte le prolétariat pour entrer dans la bourgeoisie, impossible de savoir sur quels critères on peut classer un individu dans une classe ou dans une autre, sinon sur un état d’esprit d’appartenance à un parti, on peut se demander si la notion de classe telle qu’elle était comprise et vécue au début du siècle a encore une réalité autre qu’affective.

Par contre, la notion de hiérarchie telle que nous l’avons définie répond à notre avis à une réalité. Elle répond aussi à une caractéristique fonctionnelle du cerveau des mammifères en général: la recherche de la dominance. Elle répond enfin dans l’espèce humaine à la notion d’information et de son degré d’abstraction introduite dans le travail humain.

En conséquence, quand nous parlerons de classes sociales ce sera de classes fonctionnelles, c’est-à-dire de l’ensemble des individus qui dans un organisme social remplissent la même fonction ou une fonction analogue. Seule la conscience de classe et donc l’indispensabilité de cette classe, mais aussi de l’indispensabilité des autres classes fonctionnelles, permet d’atteindre à cette « dignité de la personne humaine » dont on remplit abondamment les discours électoraux, parce que chacun met dans ce mot ce que bon lui semble. On n’est pas plus « digne » quand on est riche que lorsqu’on est pauvre, lorsqu’on tient une une place élevée dans les hiérarchies que lorsqu’on y tient une place plus modeste. Par contre, quand on est riche ou que l’ont détient une place élevée dans les hiérarchies on croit posséder plus de « pouvoir ». On assure plus facilement son plaisir par la dominance. Autant dire que les dominants chercheront toujours à conserver le pouvoir en laissant aux dominés « la dignité » dont ils n’ont rien à faire. Et ce que les dominés chercheront à obtenir, ce n’est pas une dignité dont ils ne voient pas à juste titre à quoi elle peut leur servir, mais bien le pouvoir. Or, aussi longtemps que celui-ci sera lié à l’information spécialisée permettant de s’élever dans les hiérarchies de salaire et de valeur, les sociétés humaines ne pourront sortir du stade thermodynamique de la productivité, puisque de près ou de loin ces hiérarchies ne s’établissent que sur la quantification de la participation informative spécialisée de l’individu à la production de marchandises.

Ainsi, il nous semble que nombreux sont ceux qui se sont laissé prendre à certains automatismes stéréotypés de la pensée, liés aux expressions de « lutte des classes », « société sans classes », à la définition de la bourgeoisie comme classe détenant la propriété privée des moyens de production, et du prolétariat caractérisé par sa seule « force de travail ». Qui ne voit qu’il ne suffit pas de supprimer la propriété privée des moyens de production pour parvenir à une société sans classes et faire disparaître la lutte des classes? Ce qui veut dire que les hiérarchies de valeur ne sont pas liées à la seule possession du capital et des moyens de production. Le pouvoir aujourd’hui est fonction de l’information spécialisée et c’est elle surtout qui permet l’établissement des dominances. Aussi longtemps que les hiérarchies de valeurs fondées sur l’information spécialisée ne sont pas supprimées, il existera des dominants et des dominés. Par contre, si une hiérarchie de fonction s’installe, les classes sociales deviendront aussi nombreuses que les fonctions assurées et un même individu pourra fort bien appartenir à plusieurs classes sociales à la fois, dans plusieurs institutions différentes, suivant ses différentes activités.[…]

Aussi longtemps que les hiérarchies de valeur subsisteront et qu’elles s’établiront sur la propriété par l’intermédiaire de la possession de l’information spécialisée acquise par l’apprentissage manuel ou conceptuel, les dominés chercheront à conquérir un faux pouvoir qui est celui de consommer. Or, la consommation n’a pas de fin, et jamais une égalité réelle des chances et du pouvoir ne pourra s’établir sur la consommation. Le pouvoir réel qu’exige le dominé, c’est moins celui de consommer que celui de participer à la décision. Or, pour cela c’est une information spécialisée qu’il doit acquérir. »

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Plus-value_(marxisme)#D.C3.A9finition_de_la_plus-value

[2] « Laborit parle de plaisir dans son acception biologique (le circuit de la récompense est un circuit comprenant des voies nerveuses et des hormonales) et pas philosophique. On ne peut y échapper quoi qu’on fasse car ces voies sont « imprimées » très tôt, elles sont toutes liées aux « 3B » (« boire, manger et copuler ») et nous recherchons inconsciemment dans chacune de nos actions à les satisfaire, même quand le langage « habille » de nombreuses couches cet inconscient par des justifications sociétales.
La dominance est simplement le résultat de la compétition pour satisfaire ces voies : elle est inévitable quand par exemple on postule à un travail, on veut séduire pour former un couple, etc. ce qui parait assez évident, mais aussi par ce phénomène de manière bien plus feutrée et sourde pour chaque comportement que nous avons dans la vie. Dominer c’est pouvoir accéder à ce qu’on veut et donc « renforcer » notre circuit de la récompense. » http://www.nouvellegrille.info/surlagrille.html

[3] Dans son analyse des comportements humains Laborit distingue deux façon d’éviter la punition: la lutte et la fuite. Si aucune des deux n’est possible on adopte alors un comportement d’inhibition qui débouche sur l’angoisse.

[4] Voir Chapitre premier: Thermodynamique et information

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Un siècle après la révolution d’octobre

La révolution d’octobre 2017 en quelques lignes

Dès le mois de janvier, puis courant février 1917, de nombreuses grèves et manifestations agitent Petrograd, la capitale de la Russie tsariste. Le mouvement de protestation grandit de jour en jour. Les habitants, épuisés par les difficultés d’approvisionnement dues à la guerre dans laquelle la Russie s’enlise depuis 1914, réclament du pain et lancent parfois « A bas le tsar ! ». En février c’est la grève générale et le 27 les soldats à qui l’on demande de tirer sur la foule se mutinent. Soldats et ouvriers fraternisent.

Aucun des grands leaders révolutionnaires opposants au régime de Nicolas II n’est présent dans la capitale, tous sont en exil : Lénine et Martov en Suisse, Trotski à New York, Tchernov à Paris, Staline en Sibérie. Finalement, une cinquantaine de militants de divers partis révolutionnaires (mencheviques, socialistes révolutionnaires, bolchéviques et travaillistes) qui se sont cooptés s’organisent en « comité exécutif provisoire » et appellent ouvriers et soldats à constituer une assemblée de représentants élus dans les usines et les casernes. Ils sont à peu près six cents délégués : c’est le premier soviet de Petrograd. Pourtant, parallèlement un autre pouvoir s’organise : un gouvernement provisoire composé d’ex députés de la Douma, soucieux d’ordre et favorable au libéralisme. C’est donc un double pouvoir qui va tenter de gérer le pays de février à octobre 1917. Partout, on se constitue en comité : comités d’usine, comités de soldats, comités agraires, comités de locataires, comités de quartier…

En mars, le tsar abdique.

En avril, Lénine rentre à Petrograd. La question de la guerre est alors cruciale pour tous. Une offensive est lancée le 18 juin par Kerenski, chef du gouvernement provisoire. Mais c’est un échec : le front recule de 100 à 200 kms et 400 000 hommes sont tués, blessés ou faits prisonniers en quinze jours. Cet échec de la dernière offensive russe va finir de discréditer le gouvernement provisoire. Les casernes sont en ébullition. De violentes manifestations d’ouvriers, de soldats et de marins de Kronstadt ont lieu le 3 et le 4 juillet contre le gouvernement et le soviet. Après de longues hésitations de la direction du parti bolchévique pris de cours, le mouvement finit par être soutenu par les bolchéviques mais l’insurrection échoue dans la confusion. Des mesures sévères sont prises contre les bolchéviques et les anarchistes, Lénine repart en exil, cette fois en Finlande.

Cependant, dans les campagnes et les usines, les tensions sociales ne cessent de s’aggraver. Dans les usines, le « contrôle ouvrier » est refusé aux comités d’usine par le patronat qui répond aux grèves par le lock-out ; dans les campagnes, les propriétaires, face aux comités agraires qui redistribuent les terres inexploitées, interrompent les ensemencements et demandent au gouvernement d’envoyer la troupe. Aucun des véritables problèmes qui préoccupent la société (le pain, le chômage, la terre, la paix) n’est résolu. Les populations perdent patience et les formes d’autorité traditionnelles s’écroulent : les soldats désertent et massacrent les officiers honnis, les paysans pillent et brûlent les demeures des propriétaires fonciers, les ouvriers occupent les usines et réclament l’instauration immédiate du contrôle ouvrier. Cette radicalisation au cours de l’été 1917 des masses urbaines et rurales ne signifie pas pour autant bolchévisation. Le contrôle ouvrier s’inscrit dans une perspective autogestionnaire, et la coordination de la production doit échoir aux fédérations industrielles de comités d’usines. La paysannerie, plus que la nationalisation de la terre, est favorable au « partage noir » c’est à dire à une redistribution ou répartition des terres fertiles. La majorité en tout cas aspire à donner le « pouvoir aux soviets ».

Ce ne sera pas l’avis de Lénine qui souhaite ne pas attendre la bolchévisation des masses et au contraire aspire à prendre le pouvoir rapidement sans avoir à le partager. En octobre 1917, il juge le moment favorable alors que les bolchéviques sont encore minoritaires. C’est un coup de force mené avec quelques milliers de soldats de la garnison, de marins de Kronstadt et de gardes rouges ralliés au comité révolutionnaire de Pétrograd et quelques centaines de militants bolchéviques des comités d’usine. A la différence des journées de février, spontanées et imprévues, les journées d’octobre sont préparées minutieusement par Lénine face à un gouvernement dépassé par la situation. Les centres stratégiques sont pris (poste, ponts, télégraphe, banques et gares) et on dénombre 5 morts. Dans la nuit du 25 au 26 octobre , sont créés un gouvernement des soviets, entièrement bolchévique et le conseil des commissaires du peuple, présidé par Lenine. Les bolchéviques détiennent à présent l’intégralité du pouvoir.

Que reste t -il d’octobre 1917 ?

100 ans après cette prise du pouvoir dans l’indifférence des masses populaires, que reste t il de cette révolution, après la chute du Mur, la désagrégation du bloc communiste et la disparition de l’URSS ? Il nous reste, seuls, cinq États aujourd’hui qui se revendiquent héritiers de la révolution d’octobre et du marxisme léninisme : la Chine, la Corée du nord, le Laos, le Vietnam et Cuba, cinq États autoritaires, plus précisément des républiques populaires, entretenant plutôt de bons rapports avec l’économie libérale. Ils se caractérisent encore par un capitalisme d’état, le culte de la personnalité de leur leader et un parti unique. A ceux qui voient dans le communisme « un modèle de transgression du capitalisme », les réalités historiques passées mais aussi présentes encore sous nos yeux dans ces cinq pays prouvent très clairement le contraire.

De même, la voie autoritaire s’est révélée une voie sans issue : déjà Bakounine l’affirmait avant même l’avènement des bolchéviques au pouvoir : « Prenez le révolutionnaire le plus radical et placez-le sur le trône de toutes les Russies, ou confiez-lui un pouvoir dictatorial […] et avant un an il sera devenir pire que le Tsar lui-même ». Par delà la dictature, la voie autoritaire n’a pas conduit non plus à l’émancipation des esprits, comme le prouve aujourd’hui le retour de la religion, le patriarcat prédominant et les intolérances les plus rétrogrades en Russie.

Par ailleurs, bien que ni le modèle politique, ni le modèle économique nés de la révolution de 1917 n’aient résisté à l’histoire, la révolution d’octobre a néanmoins fait la démonstration imparable de l’efficacité de deux principes sur lesquels s’appuie la voie autoritaire mis en œuvre par Lénine : l’organisation et la propagande dans le domaine politique, deux principes largement encore d’actualité. En octobre 1917, Lénine n’a laissé aucune place à la spontanéité des masses et a déterminé avec minutie quels points stratégiques devaient être pris et avec quels type d’hommes. La révolution bolchévique d’octobre préparée, organisée, structurée et menée par un petit groupe d’hommes armés est en cela bien opposée à la révolution de février, populaire, spontanée, brassant hommes et femmes, ouvriers et soldats, bourgeois démocrates, opposants au tsar… A l’oeuvre, il s’agit donc bien d’un art de l’insurrection et plus largement de l’organisation des événements politiques avec pour objectif la prise du pouvoir, leitmotiv de Lénine. Cet art de l’organisation se retrouve encore à l’œuvre aujourd’hui dans la fausse spontanéité des « Nuits Debout » par exemple, événement politique qui a servi à la promotion du programme de la France Insoumise notamment à travers la tenue d’ateliers « Constituante » et « 6eme République » et ayant abouti à l’élection de celui qui en est à l’origine, François Ruffin lui même.

L’agitprop qui vise à influencer l’opinion en tentant de persuader en agitant les esprits à l’aide d’une rhétorique émotionnelle est également un héritage de la révolution bolchévique. Elle doit s’appuyer sur tous les outils médiatiques existants ( film, journaux, livres, théâtre, affiches, …) et surtout sur les plus modernes et les plus innovants. Jean Luc Mélenchon en hologramme ou omniprésent sur Youtube, les divers coups d’éclats médiatiques relèvent des mêmes procédés : il s’agit d’utiliser les médias de masse en se faisant remarquer par des actions spectaculaires relevant de la provocation. En octobre 1917, c’est Lénine qui sous couvert du « comité militaire révolutionnaire » noyauté par les bolchéviques, prétend parler au nom de tous les prolétaires, proclame « tout le pouvoir aux soviets » comme aujourd’hui Mélenchon prétend incarner la voix de la rue. Lénine de fait détourne le mot d’ordre le plus populaire de la révolution russe qui devient en un tournemain « tout le pouvoir du parti bolchevique sur les soviets ». La propagande donnera naissance de même à un grand mythe autour de la révolution d’octobre : le mythe du Prolétaire guidant le peuple et marchant dans le sens de l’Histoire. Dans la même veine, Eisenstein tourne « Octobre » réalisé en 1929. Ce film donne une représentation épique de la prise du Palais d’hiver , le premier rôle étant donné au peuple en mis en avant de manière prépondérante par des scènes de foule fréquentes avec jusqu’à 10 000 figurants, ce qui nous éloigne de beaucoup de la réalité historique.

Ainsi peu de choses nous reste de ce moment historique : un peu de folklore, beaucoup de mythes et qui plus est, l’idée de communisme discréditée par le terrible échec que fut l’aventure bolchévique.

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Temps de misère en Russie

Il y a 100 ans, la Russie était agitée d’insurrections populaires réclamant l’émancipation de tous au cri de « à bas le tsar » en février 1917 puis « le pouvoir aux soviets » en juillet 1917. Aujourd’hui, un siècle plus tard, c’est un film qui agite la Russie : « Matilda » sorti en ce 23 octobre 2017. Ce film du réalisateur russe Alexis Ouchitel raconte l’histoire d’un triangle amoureux entre la danseuse Matilda, le futur tsar Nicolas II et le Grand-Duc André, cousin germain de Nicolas.

En effet, « Matilda » est le récit de la liaison du futur Nicolas II avec la ballerine Mathilde Kschessinska. Pourtant, après leur rupture, quelques temps après le mariage du tsar, l’histoire ne s‘arrête pas là. Nicolas II demande à son petit-cousin, le Grand-Duc Serge, de veiller sur Mathilde. Celui-ci tombe amoureux de la jeune danseuse. On ne sait pas si ses sentiments furent réciproques, ou si Mathilde se servit de cette relation pour en tirer des avantages matériels et professionnels, en particulier obtenir le titre de Première Ballerine. Bref, le tsar amoureux d’une danseuse met sans dessus dessous religieux orthodoxes et monarchistes, révélant ainsi l’état moral d’une Russie plus que rétrograde.

Bien que cette relation soit avérée historiquement, le film a été l’objet de violentes polémiques. Avant même sa sortie, plusieurs centaines de personnes regroupées dans le mouvement La croix royale ont signé une pétition demandant l’interdiction du film, jugé offensant pour les sentiments religieux des croyants et qui calomnierait Nicolas II en déformant la vérité historique. L’Église orthodoxe crie au scandale, dénonce un sacrilège et des organisations nostalgiques de l’Empire menacent d’incendier des salles de cinéma si le film « Matilda » y est projeté. La protestation fait rage depuis, sous des formes diverses, dans de nombreuses villes de Russie. Le 31 août, à Saint-Pétersbourg, un cocktail Molotov a visé la compagnie Rok dans les studios où Alexeï Outchitel a en partie tourné Matilda ; le 4 septembre, une camionnette remplie d’essence et de bonbonnes de gaz a explosé en tentant de forcer les portes du cinéma Kosmos d’Iekaterinbou.

Comble de l’ignominie selon les détracteurs du film : le rôle de Nicolas II est joué par un acteur allemand, Lars Eidinger, et qui plus est, homosexuel. Face au déferlement de réactions haineuses ouvertement homophobes et de menaces nombreuses, celui ci avoue avoir peur et vient d’annoncer qu’il ne se rendrait pas en Russie pour la sortie du film. Au moment même des commémorations timides et gênées des insurrections de juillet et d’octobre, ce triste spectacle que nous donne la Russie nous rappelle que l’histoire n’est pas toujours une marche en avant, surtout quand la religion renforcée par le nationalisme et le populisme parvient à raviver l’obscurantisme tout droit sorti d’un autre temps.

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Confusion des genres

La réapparition de Bertrand Cantat sur la couverture du magazine « les Inrockuptibles » a provoqué mercredi dernier à nouveau un tollé de protestations et de vives réactions chez les féministes, comme chez des personnalités politiques et médiatiques. Marlène Chiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes s’est indignée de la promotion d’un assassin, condamné il y a treize ans pour le meurtre de Marie Trintignant.

L’ancienne ministre des Familles Laurence Rossignol a quant à elle parlé de « honte » pour ce magazine qui affiche le portrait de Bertrand Cantat et le nom du rappeur Orelsan, auteur de « je vais te marie-trintigner » dans l’une de ses chansons.

L’intention des « Inrocks » ne fait pas de doute : faire le buzz et provoquer le débat, ce qui n’a pas manqué de se faire une nouvelle fois. Car depuis sa libération conditionnelle en 2007, chaque réapparition du chanteur, chaque concert, chaque album soulève le même émoi et les mêmes questions : le meurtrier de Marie Trintignant peut il reprendre son métier d’artiste et retouver sa notoriété passée comme si rien n’était ? Doit il être banni des médias et du show bizz pour ce meurtre qu’il a payé de quatre ans de prison ? Nous ne nous lancerons pas dans ce débat moral, surtout concernant ce milieu du show bizz où la morale a bien peu de place. Néanmoins, ce qui interpelle, c’est la pause de Cantat, cheveux en pétard, look négligé, le regard un peu perdu et cette attitude beau gosse macho marqué par la vie : c’est bien le héros rebelle et viril qui s’affiche avec son refus des bonnes mœurs et son air provocateur. Ses propos dans la double page du magazine sont du même acabit : la souffrance et le désespoir d’un homme seul face à tous, un paria, un mal aimé. Bref, tous les clichés sont là et plus fort que tout le désir de provoquer. Mais est ce vraiment sérieux ? Cantat peut il encore se fantasmer en rebelle quand le machisme qu’il arbore est rétrograde et archaïque, en plus d’avoir été meurtrier ? Quoi de plus conformiste justement que cette volonté de puissance transférée sur des questions sexuelles, à l’origine des violences faites aux femmes ? Quoi de plus inscrit dans l’ordre social et dans la banalité ? La dimension contestataire de ses chansons et le genre marginal rebelle sonnent bien creux. En cela Cantat me dérange. Pour ce qu’il a fait mais aussi pour cette prise de conscience attendue et qui n’a pas eu lieu.

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Hier est déjà là

Les vieux métiers meurent, d’autres apparaissent avec les besoins modernes. Mais en regardant de près les conditions de travail de certains métiers émergents, on a peine à croire que nous sommes au XXIème. Coursier à vélo, par exemple, est une nouvelle activité en plein essor comme le prouve le développement très rapide des deux start up concurrentes qui se partagent le marché de la livraison à vélo de repas chauds : Delivreroo et Foodora, l’une anglaise, l’autre allemande, toutes deux pourvues de filières dans tous les pays européens. Elles emploient des livreurs sous statut salarié et d’autres sous statut d’indépendant (en tant qu’auto-entrepreneur) le plus souvent des étudiants ou des chômeurs prêts à travailler 70h par semaine.

Mais dans ces deux entreprises, les conditions de travail des coursiers à vélo, à Londres, à Berlin, à Paris ou Montpellier sont elles plus qu’archaïques :

le vélo, outil de travail du livreur, n’est pas fourni par l’employeur. C’est l’employé qui vient travailler avec son propre vélo, et qui donc a à sa charge tous les frais d’entretien et de réparation de son outil de travail.

La surveillance est à son maximum, puisque l’employeur connaît tout des déplacements de son employé, sa localisation, sa vitesse et sa direction pendant sa course, par le biais de l’application pourvoyeuse de « shift » (courses), elle aussi à la charge de l’employé.

De plus, les dangers encourus à vélo en milieu urbain sont énormes, d’autant plus que les missions sont chronométrées et soumises à obligation de rapidité : collisions et chutes sont des risques quotidiens et la pénibilité physique très élevée, un coursier pouvant parcourir dix à quinze kilomètres de l’heure. Les conditions climatiques augmentent également la pénibilité du travail, sans que ce critère ne soit pris en compte dans le salaire. Celui ci s’élève entre 6,5 et 9 euros de l’heure quand il y a du travail. Car les livreurs ne sont payés que si une course leur est proposée. Le tout donc sans salaire fixe, sans congés payés ni jour férié.

Ils sont 10 000 en France à travailler dans de telles conditions, à peu près autant dans chaque pays d’Europe où la foodtech est implantée.

Face à ces réalités professionnelles d’un autre temps, des collectifs sont nés et cherchent à s’organiser pour obtenir des droits. Certaines avancées, après des manifestations en juillet et août dernier en Allemagne, ont été obtenues en matière d’indemnité d’entretien des vélos ou d’indemnités kilométriques. Mais, plus encourageante encore est la démarche de la F.A.U. (anarcho syndicat allemand) qui propose de regrouper divers syndicats et collectifs de divers pays afin d’assurer une lutte européenne. La campagne syndicale internationale de coursiers à vélo de Deliveroo, Foodora et Co a été lancée en août dernier. C’est la preuve que les résistances collectives à l’échelle européenne sont possibles et efficaces. Et c’est la preuve aussi que le courage et l’audace des plus précaires peuvent nous servir de modèle pour les combats collectifs à venir…

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Au delà de Cash Investigation

Le dernier reportage de Cash Investigation, Travail, ton univers impitoyable, a beaucoup fait parler de lui car il nous présente les coulisses du travail dans les entreprises Lidl et Free.

Élise Lucet et son équipe sont donc partis découvrir le travail aussi difficile et physique qu’aliénant des préparateurs de commande chez Lidl et les techniques de management hyper agressives de Free qui licencie et casse les grèves à coup de bulldozer.

Les témoignages sont poignants et les chiffres donnent le vertige: un préparateur de commande chez Lidl lève en moyenne 8 tonnes de produits par jour et les accidents du travail y sont 3 fois plus graves que ceux des autres entreprises du secteur. On est mal à l’aise devant le spectacle sordide qu’offrent ces conditions de travail et on est en colère devant ces responsables et autres directeurs qui tentent de justifier l’injustifiable face à la journaliste.
Le tout se termine par une discussion sur plateau entre Élise Lucet, un économiste et la ministre du travail Muriel Pénicaud, ancienne DRH chez Danone.

Fin.

Fin? Faut-il vraiment s’arrêter là? Doit-on se contenter de notre dose mensuelle d’indignation face à la misère, à la véritable merde quotidienne du travail? Mais qui pourrait dire qu’il a appris que la souffrance au travail existe avec ce reportage? On y apprend qu’ « un quart des salariés vont travailler avec la boule au ventre, plus d’un tiers affirment avoir fait un burn-out et 43% ressentent des douleurs à cause de leur métier ». En 2014 le Figaro titrait que « deux français sur trois ont peur le matin en allant au travail ». En 2012 c’est La Tribune qui nous révélait que « le travail stresse 60% des Français ».
Montrer Lidl et Free du doigt en les désignant comme les grands méchants du monde du travail sert-il à quelque chose si on ne se pose pas la question plus générale de savoir ce qui cloche dans notre société?

L’entreprise doit-elle forcément observer une organisation hiérarchique pour fonctionner? Toucher un salaire bien inférieur à la plus-value que nous générons est-il le seul objectif possible du travail? Doit-on encore croire qu’un quelconque gouvernement nous sortira de l’absurdité de notre condition alors que ceux qui nous dominent à travers l’argent ou la politique partagent tant d’intérêts communs? La vie d’un être humain peut-elle se résumer à passer 7h par jour à parler à un robot tout en entassant de la bouffe bourrée de pesticides sur des palettes?

La souffrance au travail est une fatalité dans notre société, car elle n’est rien d’autre que l’optimisation de l’exploitation du travailleur au bénéfice des capitalistes qui s’enivrent de pouvoir comme on se shoot à l’héroïne:
« De récentes analyses venant de l’université de Columbia démontrent que les situations de pouvoir modifient les équilibres chimiques dans le cerveau. Ces analyses consistaient à observer des échantillons de personnes occupant des niveaux de pouvoir variés dans des organisations, des entreprises, et ils ont découvert qu’au fur et à mesure que l’on gravit des échelons de pouvoir, on voit une zone du cerveau de plus en plus active – cette zone s’appelle le striatum et elle est remplie de dopamine. Cette zone est très primitive et ferait partie du « circuit de récompense », qui incite l’individu à maximiser ses chances de survie en situations hostiles ou en société, ainsi que ses chances de procréer. Cela va se traduire par la recherche de la meilleure nourriture et des conditions de vie matérielles les plus favorables, et chez l’être humain de rentrées d’argent et des partenaires sexuels les plus nombreux possible.
Le pouvoir va donc augmenter ce processus et pousser l’individu à en abuser. Ce dernier aspect vient d’être confirmé par une étude venant des Pays-Bas, réalisée sur 1 561 personnes, où il a été découvert que plus une personne faisait partie d’un échelon élevé dans une entreprise, plus elle avait de partenaires sexuels.
Il faut également savoir que ce système cérébral fait partie d’un système dit « de renforcement » qui, une fois enclenché, va demander à l’être toujours plus. C’est l’assise des drogues et le siège des addictions.
Résultat : plus on a de pouvoir, plus on en veut. »

On voit mal comment les puissants pourraient se détourner de leur addiction au pouvoir pour se découvrir un altruisme qui les conduirait à se soucier réellement du bien être des travailleurs, sans regarder l’impact sur la productivité.

Et les réactions des responsables face à l’équipe de Cash Investigation nous semble tout de suite moins énigmatique lorsque l’on découvre que « d’autres études démontrent les processus qui ont lieu dans les situations de pouvoir ; auto-légitimation, surestimation de soi et gonflement surdimensionné de l’ego menant entre autres à rejeter la faute sur l’entourage en cas d’échec dans une situation. »
Les puissants ne sont pas seulement accros au pouvoir, leur cerveau fait inconsciemment tout ce qu’il peut pour qu’ils se croient dans leur bon droit, pour s’inventer un mérite qu’il n’ont pas et ainsi répondre au besoin de « rationaliser » leur position sociale. Et tant que le cerveau humain sera ce qu’il est, les gens de pouvoir, qu’ils soient patrons, politiciens, dirigeant de parti, président d’association ou même chef de presque rien, chercheront à stabiliser et développer leur pouvoir sur les autres.

« Ces analyses mettent en avant ce que nous essayons de prouver depuis très longtemps ; le pouvoir (même sous ses apparences les plus anodines) dépasse les capacités raisonnables de l’être humain. »

Si nous voulons sincèrement mettre un terme à la souffrance et à l’absurdité du travail nous devons repenser la société dans son ensemble. Pas uniquement dans le travail, mais dans notre rapport à la hiérarchie, à l’autorité, au pouvoir.

Voir également Ce que le pouvoir fait au cerveau.

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Du pain et des jeux

Depuis l’aéroport de Pointe-à-Pitre, à la fin de sa visite bien médiatique sur les débris des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ravagées par l’ouragan Irma, mais laissées sans assistance depuis une semaine, Emmanuel Macron exulte : les JO à Paris en 2024 c’est « une formidable reconnaissance de la France» et « cette victoire, c’est la France ». Bref, voilà le vieux rêve de la grandeur de la mère patrie en marche ! A la hauteur de ce regain nationaliste un budget tout aussi claironnant : 7 milliards dont 1.5 milliard (seulement !) seront sortis de la poche du contribuable avec promesse de ne pas dépasser le budget bien sur. Mais déjà les dépenses vont bon train, car rien n’est trop grand : 1.5 million d’euros sont déjà consumé pour le simple déplacement à Lima de la délégation française (entre 250 et 300 personnes) en six jours : avion spécialement affrété, hôtels cinq étoiles, restaurants… et visite humanitaire dans un quartier pauvre bien sur, ça va de soi.

Bref, la France victorieuse mérite bien ce déploiement de luxe, payé pour moitié par les contribuables français, histoire de les faire participer à la fête. Qu’importe ! On promet des retombées économiques, des emplois, mot magique qui fait tout pardonner. Pourtant on se demande bien quels types d’emplois peuvent être créés pour un événement de 15 jours, si ce n’est des contrats de courte durée dans l’événementiel. Les retombées économiques elles aussi sont très relatives et il faudra certainement diviser par trois l’évaluation officielle des retombées attendues, conseillent les experts avec lucidité. Enfin, ne soyons pas mesquin, le prestige patriotique n’a pas de prix…

D’ailleurs, on peut voir comment on pare soigneusement l’événement de toutes les vertus. Les JO à Paris seront « verts », mais sans compter les pics de pollution sans précédent déjà annoncés par l’afflux de visiteurs et spectateurs. Les JO seront accessibles et en cela ils s’imposent comme un formidable outil d’intégration des handicapés. Les JO 2024 seront aussi civiques ! Car « Défendre les valeurs de l’olympisme c’est aussi œuvrer pour plus d’équilibre, plus de multiculturalisme » nous dit Macron et voici les JO devenus un outil de mixité sociale missionné pour réconcilier la communauté française, là où d’autres ont échoué comme  l’Éducation Nationale! Les JO vendent du rêve, nous l’avons bien compris et c’est d’ailleurs là peut être même tout le résumé de l’affaire…

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