La révolution d’octobre 2017 en quelques lignes
Dès le mois de janvier, puis courant février 1917, de nombreuses grèves et manifestations agitent Petrograd, la capitale de la Russie tsariste. Le mouvement de protestation grandit de jour en jour. Les habitants, épuisés par les difficultés d’approvisionnement dues à la guerre dans laquelle la Russie s’enlise depuis 1914, réclament du pain et lancent parfois « A bas le tsar ! ». En février c’est la grève générale et le 27 les soldats à qui l’on demande de tirer sur la foule se mutinent. Soldats et ouvriers fraternisent.
Aucun des grands leaders révolutionnaires opposants au régime de Nicolas II n’est présent dans la capitale, tous sont en exil : Lénine et Martov en Suisse, Trotski à New York, Tchernov à Paris, Staline en Sibérie. Finalement, une cinquantaine de militants de divers partis révolutionnaires (mencheviques, socialistes révolutionnaires, bolchéviques et travaillistes) qui se sont cooptés s’organisent en « comité exécutif provisoire » et appellent ouvriers et soldats à constituer une assemblée de représentants élus dans les usines et les casernes. Ils sont à peu près six cents délégués : c’est le premier soviet de Petrograd. Pourtant, parallèlement un autre pouvoir s’organise : un gouvernement provisoire composé d’ex députés de la Douma, soucieux d’ordre et favorable au libéralisme. C’est donc un double pouvoir qui va tenter de gérer le pays de février à octobre 1917. Partout, on se constitue en comité : comités d’usine, comités de soldats, comités agraires, comités de locataires, comités de quartier…
En mars, le tsar abdique.
En avril, Lénine rentre à Petrograd. La question de la guerre est alors cruciale pour tous. Une offensive est lancée le 18 juin par Kerenski, chef du gouvernement provisoire. Mais c’est un échec : le front recule de 100 à 200 kms et 400 000 hommes sont tués, blessés ou faits prisonniers en quinze jours. Cet échec de la dernière offensive russe va finir de discréditer le gouvernement provisoire. Les casernes sont en ébullition. De violentes manifestations d’ouvriers, de soldats et de marins de Kronstadt ont lieu le 3 et le 4 juillet contre le gouvernement et le soviet. Après de longues hésitations de la direction du parti bolchévique pris de cours, le mouvement finit par être soutenu par les bolchéviques mais l’insurrection échoue dans la confusion. Des mesures sévères sont prises contre les bolchéviques et les anarchistes, Lénine repart en exil, cette fois en Finlande.
Cependant, dans les campagnes et les usines, les tensions sociales ne cessent de s’aggraver. Dans les usines, le « contrôle ouvrier » est refusé aux comités d’usine par le patronat qui répond aux grèves par le lock-out ; dans les campagnes, les propriétaires, face aux comités agraires qui redistribuent les terres inexploitées, interrompent les ensemencements et demandent au gouvernement d’envoyer la troupe. Aucun des véritables problèmes qui préoccupent la société (le pain, le chômage, la terre, la paix) n’est résolu. Les populations perdent patience et les formes d’autorité traditionnelles s’écroulent : les soldats désertent et massacrent les officiers honnis, les paysans pillent et brûlent les demeures des propriétaires fonciers, les ouvriers occupent les usines et réclament l’instauration immédiate du contrôle ouvrier. Cette radicalisation au cours de l’été 1917 des masses urbaines et rurales ne signifie pas pour autant bolchévisation. Le contrôle ouvrier s’inscrit dans une perspective autogestionnaire, et la coordination de la production doit échoir aux fédérations industrielles de comités d’usines. La paysannerie, plus que la nationalisation de la terre, est favorable au « partage noir » c’est à dire à une redistribution ou répartition des terres fertiles. La majorité en tout cas aspire à donner le « pouvoir aux soviets ».
Ce ne sera pas l’avis de Lénine qui souhaite ne pas attendre la bolchévisation des masses et au contraire aspire à prendre le pouvoir rapidement sans avoir à le partager. En octobre 1917, il juge le moment favorable alors que les bolchéviques sont encore minoritaires. C’est un coup de force mené avec quelques milliers de soldats de la garnison, de marins de Kronstadt et de gardes rouges ralliés au comité révolutionnaire de Pétrograd et quelques centaines de militants bolchéviques des comités d’usine. A la différence des journées de février, spontanées et imprévues, les journées d’octobre sont préparées minutieusement par Lénine face à un gouvernement dépassé par la situation. Les centres stratégiques sont pris (poste, ponts, télégraphe, banques et gares) et on dénombre 5 morts. Dans la nuit du 25 au 26 octobre , sont créés un gouvernement des soviets, entièrement bolchévique et le conseil des commissaires du peuple, présidé par Lenine. Les bolchéviques détiennent à présent l’intégralité du pouvoir.
Que reste t -il d’octobre 1917 ?
100 ans après cette prise du pouvoir dans l’indifférence des masses populaires, que reste t il de cette révolution, après la chute du Mur, la désagrégation du bloc communiste et la disparition de l’URSS ? Il nous reste, seuls, cinq États aujourd’hui qui se revendiquent héritiers de la révolution d’octobre et du marxisme léninisme : la Chine, la Corée du nord, le Laos, le Vietnam et Cuba, cinq États autoritaires, plus précisément des républiques populaires, entretenant plutôt de bons rapports avec l’économie libérale. Ils se caractérisent encore par un capitalisme d’état, le culte de la personnalité de leur leader et un parti unique. A ceux qui voient dans le communisme « un modèle de transgression du capitalisme », les réalités historiques passées mais aussi présentes encore sous nos yeux dans ces cinq pays prouvent très clairement le contraire.
De même, la voie autoritaire s’est révélée une voie sans issue : déjà Bakounine l’affirmait avant même l’avènement des bolchéviques au pouvoir : « Prenez le révolutionnaire le plus radical et placez-le sur le trône de toutes les Russies, ou confiez-lui un pouvoir dictatorial […] et avant un an il sera devenir pire que le Tsar lui-même ». Par delà la dictature, la voie autoritaire n’a pas conduit non plus à l’émancipation des esprits, comme le prouve aujourd’hui le retour de la religion, le patriarcat prédominant et les intolérances les plus rétrogrades en Russie.
Par ailleurs, bien que ni le modèle politique, ni le modèle économique nés de la révolution de 1917 n’aient résisté à l’histoire, la révolution d’octobre a néanmoins fait la démonstration imparable de l’efficacité de deux principes sur lesquels s’appuie la voie autoritaire mis en œuvre par Lénine : l’organisation et la propagande dans le domaine politique, deux principes largement encore d’actualité. En octobre 1917, Lénine n’a laissé aucune place à la spontanéité des masses et a déterminé avec minutie quels points stratégiques devaient être pris et avec quels type d’hommes. La révolution bolchévique d’octobre préparée, organisée, structurée et menée par un petit groupe d’hommes armés est en cela bien opposée à la révolution de février, populaire, spontanée, brassant hommes et femmes, ouvriers et soldats, bourgeois démocrates, opposants au tsar… A l’oeuvre, il s’agit donc bien d’un art de l’insurrection et plus largement de l’organisation des événements politiques avec pour objectif la prise du pouvoir, leitmotiv de Lénine. Cet art de l’organisation se retrouve encore à l’œuvre aujourd’hui dans la fausse spontanéité des « Nuits Debout » par exemple, événement politique qui a servi à la promotion du programme de la France Insoumise notamment à travers la tenue d’ateliers « Constituante » et « 6eme République » et ayant abouti à l’élection de celui qui en est à l’origine, François Ruffin lui même.
L’agitprop qui vise à influencer l’opinion en tentant de persuader en agitant les esprits à l’aide d’une rhétorique émotionnelle est également un héritage de la révolution bolchévique. Elle doit s’appuyer sur tous les outils médiatiques existants ( film, journaux, livres, théâtre, affiches, …) et surtout sur les plus modernes et les plus innovants. Jean Luc Mélenchon en hologramme ou omniprésent sur Youtube, les divers coups d’éclats médiatiques relèvent des mêmes procédés : il s’agit d’utiliser les médias de masse en se faisant remarquer par des actions spectaculaires relevant de la provocation. En octobre 1917, c’est Lénine qui sous couvert du « comité militaire révolutionnaire » noyauté par les bolchéviques, prétend parler au nom de tous les prolétaires, proclame « tout le pouvoir aux soviets » comme aujourd’hui Mélenchon prétend incarner la voix de la rue. Lénine de fait détourne le mot d’ordre le plus populaire de la révolution russe qui devient en un tournemain « tout le pouvoir du parti bolchevique sur les soviets ». La propagande donnera naissance de même à un grand mythe autour de la révolution d’octobre : le mythe du Prolétaire guidant le peuple et marchant dans le sens de l’Histoire. Dans la même veine, Eisenstein tourne « Octobre » réalisé en 1929. Ce film donne une représentation épique de la prise du Palais d’hiver , le premier rôle étant donné au peuple en mis en avant de manière prépondérante par des scènes de foule fréquentes avec jusqu’à 10 000 figurants, ce qui nous éloigne de beaucoup de la réalité historique.
Ainsi peu de choses nous reste de ce moment historique : un peu de folklore, beaucoup de mythes et qui plus est, l’idée de communisme discréditée par le terrible échec que fut l’aventure bolchévique.